Comme pour tout bon projet, il faut d’abord former un socle de connaissances contextualisées avec références et recherches historiques. Durant mes investigations, quant à l’évolution de la maîtrise d’ouvrage et de ses gouvernances, je me suis aperçu assez vite que derrière les grands hommes qui ont marqué l’histoire notamment par leurs styles architecturaux (Ramsès, Louis XIV ou le Général de Gaulle), il y avait des hommes apolitiques, dans l’ombre de ces « soleils », qui œuvraient à leur réalisation, du cœur à l’ouvrage (Imhotep, Vauban, Malraux ou Paul Delouvrier).
Nourri de ce bagage et de l’illusion de rencontrer un jour un de ces maîtres d’ouvrages éclairés, je me suis lancé avec assurance dans ce métier d’architecte, de maître d’œuvre. Les premiers projets de Philéas entre 1993 et 1998 ont été réalisés sous des gouvernances centralisées de l’État, système disparu aujourd’hui. Les conduites d’opérations étaient réalisées sous la conduite d’ingénieurs d’état pourvus par les DDE pour la gare maritime de Carteret et l’IUT de Boulogne-sur-Mer. Ou alors, les services de construction des ministères des Affaires étrangères ou de l’Économie intervenaient comme pour le campus diplomatique de Bamako et les postes d’expansion économique à Shangaï et New Dehli.
Puis, à partir de 1998, nous avons assisté à un glissement, couplé de la mise en carence des services d’état. Ainsi, sont apparus les Assistants Maître d’Ouvrage (AMO) dont les effectifs étaient des « transfuges des services ».
Cette carence, je l’ai vécue, notamment sur la restructuration des ateliers du lycée professionnel de Dammarie-les-Lys. La DDE 77 avait nommé en conduite d’opération un personnel qui venait des Phares et Balises pour une rénovation en 4 phases en site occupé d’un équipement scolaire. L’agence Philéas a dû combler cette carence de compétences pour ne pas perdre la qualité de l’ouvrage et éviter d’exploser les coûts et les délais. Et c’est de cette carence dont les Assistants à la Maîtrise d’Ouvrage se sont emparés pour se multiplier, favorisés par le déploiement de la décentralisation et sa conséquence inévitable du transfert des compétences au sein de la gouvernance de projet.
Dès lors, la multiplication d’AMO et des gouvernances, du fait de la fin du monopole d’État au profit des réglementations européennes, a généré une diversité exponentielle des modes de sélection et de consultation pour les architectes. Suppression des oraux, critères variables pour les concours (en nombre de panneaux, perspectives, échelle du détail, film 3D, etc.). Et puis les offres, les dialogues compétitifs longue durée (avec des entretiens oraux en petit comité), les consultations de promoteurs pour les ZAC et tout ceci pour des indemnités variables, des cacahuètes, voir nulles.
L’ensemble créant un foisonnement de cibles et une concurrence acharnée pour les architectes, obligeant à toujours plus de compétences chronophages, en marketing, en communication, en RH, en respect de normes et de réglementations handicapées, incendies ou environnementale sans cesse alourdies par les lobbies de l’assurance via les bureaux de contrôle ou de certification. Et tout ceci dans un contexte de crise générant une concurrence d’honoraires et de prestations qui ont paupérisé la profession.
En clair, un transfert des responsabilités d’ouvrage vers le secteur privé que les architectes de l’époque, debout sur leurs ergots de démiurges, maîtres de la lumière et de l’espace, ont laissé faire au lieu de regarder vers leurs pattes et de se plonger dans la mêlée d’où certains ont sorti des trésors (les CSPS, les bureaux de contrôle ou d’études, les AMO, les SSI), et en se faisant déplumer de moitié de leurs honoraires au passage.
Décentralisation, déresponsabilisation, débranchement des transmissions de savoir et de culture de l’ingénierie d’état, ont incités en 2006 ma candidature au poste d’architecte conseil de l’état.
Ce choix de parcours m’a placé au cœur de cette mise en carence quand je suis devenu ACE en 2008 en Dordogne.
J’ai en ai constaté l’impact porté en plus par des réformes en trois temps majeurs :
• Avec la fusion des Directions Départementales de l’Équipement et de l’Agriculture devenant celle des Territoires générant des transferts de compétences et de cerveaux moyennant rémunérations vers les Conseils Généraux et une politique urbaine aléatoire pour les territoires avec des directeurs ou des cadres issus de l’Équipement ou de l’Agriculture avec forcément une approche et des préoccupations différentes…. Est-ce l’égalité républicaine pour les territoires ?
• Avec le nouveau permis de construire et son insidieuse auto déclaration de conformité pour les collectivités et surtout les pétitionnaires particuliers, couplée à la suppression de la police de l’urbanisme qui, j’en témoigne, engendre des non-conformités notoires jamais sanctionnées. Et je n’ai pas seulement constaté des différences de taille de fenêtres, mais bien plus grave, des différences d’implantations et de surfaces qui sont des bombes à retardement de procédure pour les tribunaux administratifs. …. Est-ce l’égalité républicaine par rapport à l’impôt et aux lois ?
• et enfin… Avec l’estocade de la nouvelle carte des régions et de leurs Schémas Régionaux d’Aménagement, de Développement Durable et d’Egalité des Territoires – SRADDET- ignorant à mon avis les harmonies sociales ou géologiques des territoires (ex département) et regroupant tous les leviers régaliens dans les Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement – DREAL au détriment des DDT. Est-ce la fraternité républicaine qui devrait unir la spécificité de chaque département ?
Je ne sais pas.
En tout cas, elle engendre une disparition de la stratégie urbaine de l’État et débride le vrai aménageur des territoires, à savoir l’opportunité économique ! Cela créant, je cite Vincent Renard du CNRS, « la subordination de la République à la Démocratie Locale » et moi, ce que je nomme par son nom : la privatisation de l’urbanisme français, PUF !
Cette subordination a conduit Philéas à répondre à toujours plus d’offres, avec toujours plus de prestations, jusqu’à l’extrême de dessiner 17 gares du Grand Paris sans rémunération et/ou indemnités !
En conséquence de la privatisation de l’urbanisme, nous, architectes, avons dû transgresser notre déontologie en étant à la fois prescripteur du projet et prestataire de sa réalisation.
Car la gouvernance inventée par la Maire Anne Hidalgo1
pour Réinventer Paris, poursuivie en Ile-de-France avec Inventons la Métropole du Grand Paris et qui s’exporte à l’international à 40 autres métropoles (Réinventing cities), anticipe la privatisation de l’urbanisme et chamboule le plateau du Monopoly.
Elle démontre que si l’État, via ses nouvelles collectivités territoriales, a été exclu du plateau de jeu, il reste Hasbro, l’éditeur des règles du jeu qui gagne chaque fois en vendant la boîte.
Et corriger les règles du jeu c’était redéfinir l’algorithme, là, BIP, je vais commencer à faire plaisir aux geeks.
Tout d’abord, il faut comprendre le nouveau concept de gouvernance de ces projets du Grand Paris. Il est simple : la collectivité met à disposition du foncier dont elle est en pleine propriété et les vend au plus offrant, pas en argent mais en capacité d’innovations sociales, environnementales, commerciales, de mixité ou d’économie circulaire. Cette nouvelle procédure, véritable big bang pour le real estate, a créé une interaction entre les promoteurs, les financiers, les fiscalistes et autres marqueteurs opérateurs. Fournir non seulement une offre et une image 3D film show, mais surtout mettre en relation collectivité et promoteurs par une programmation inscrivant des choix et des concepts technologiques adaptés aux nouvelles règles… qui pouvait faire ça ?? Bingo, les architectes !!!
Molo, on ne prend pas la grosse tête, c’est juste que notre polyvalence a été un transistor gérant des interconnexions et là, BIP, je reviens à l’algorithme, les nouvelles règles du jeu à éditer par la Maîtrise d’Ouvrage collective pour une nouvelle gouvernance du Monopoly.
Car aujourd’hui les données sont manquantes et la vacance d’harmonie dans la gouvernance fait des territoires un Far-West fédéral favorisant l’ultra profit de certains et la méga exclusion des autres selon que l’on est près du point d’eau ou loin du chemin de fer. C’est la Métropolisation ! phénomène dangereux qui, couplé à la péri-urbanité, est en train de créer une fracture interclasse (et quand les bourgeois de province grognent, la révolution n’est pas loin).
Mais je suis optimiste, car je suis certain que nous sommes à l’orée, non pas d’une révolution, mais d’une innovation de rupture notamment dans le bâtiment, une nouvelle aire de la politique urbaine avec des Maîtrises d’Ouvrage collectives éclairées, poussées par le réseau social, qui orienteront et gouverneront l’architecture et l’urbanisme.
Enfin, ce n’est pas fait !!! Car, comme cité par les journalistes Lucille Gréco, Vincent Josso, Nicolas Rio et Flore Trautmann, à propos de cette nouvelle gouvernance :
Talleyrand disait : « Les financiers ne font bien leurs affaires que lorsque l’État les fait mal. »
Et je confirme leur avertissement : « Pour que la méthode “Réinventer” favorise une créativité pertinente de la part des acteurs privés, il faut un cadre qui pose puis accompagne l’exigence publique depuis le concours jusqu’à la réalisation. »
Mais ce cadre a disparu comme expliqué ci-dessus et c’est lui qu’il faut réinventer, inventer la Gouvernance. Ma proposition et la suivante, accrochez -vous !
C’est celle du capitalisme 4D (approche développée par David Baverez dans son livre Paris Pékin Express). Comment des sociétés ont développé des algorithmes qui ont permis la mise en place et la gouvernance de nouvelles activités leader dans des secteurs d’économies ancestraux : Uber sans posséder de véhicule, Airbnb sans posséder de chambres ou Alibaba sans posséder de stock. Ce développement numérique est applicable à l’urbanisme et à l‘architecture aux gisements de valeurs immenses inexploitées.
Il va donc falloir refaire des maths, comme dit Matt Damon dans Alone on Mars, “I’m gonna have to science the shit out of it !” (Je vais devoir en chier de la science !).
En me permettant de rappeler qu’un algorithme est tout simplement une série d’instructions composées d’ingrédients à mettre en alchimie pour obtenir un résultat, bref une simple recette de cuisine.
Aujourd’hui en tant qu’architecte je me sens comme un cuisinier attendant top chef, c’est-à-dire que les gens et les médias s’emparent de mon art, en l’occurrence pas la cuisine mais l’architecture. Et je ne suis pas seul, les grandes sociétés du BTP organisent leur Think Thank sur la ville, néanmoins mon expérience du collectif de (plan01, FT et ACE) est qu’il faut d’abord définir la valeur, la gouvernance.
Que donc chacun exprime, sans hypocrisie, les valeurs qu’il attend de son engagement pour former la valeur du collectif. Les valeurs forment la valeur : l’éthique commune approuvée sans contraintes par les acteurs. Cette base c’est l’énergie du collectif qui n’a pas d’objectif totalitaire, mais essaye plutôt de marquer des buts en s’appuyant sur la reconnaissance de l’action individuelle de tous ses membres.
Et sans oublier qu’être d’accord ce n’est pas forcément donner raison.
- Je me dois de rendre la primeur de l’invention de ce concept aux architectes Hamonic, Masson et Luxigon pour leur projet Hoche ↩